24-04-2023  SOCIETE LIBRE

Les libertés associatives sont en danger

Après la Défenseure des droits, c'est au tour du Mouvement Associatif de lancer l'alerte. 129 acteurs de la société civile dont la Ligue des droits de l'Homme, Laurent Berger de la CFDT, le Secours Catholique, Animafac, COFAC, Centre français des Fonds et Fondations, CRESS Nouvelle Aquitaine, La Fonda, etc. alertent sur la remise en cause de la liberté des associations. Que des acteurs aussi différents les uns des autres, signent ensemble une tribune dans le JDD ne peut manquer de poser question.

Que se passe-t-il en France pour qu'un tel cri d'alarme soit lancé ? C'est suffisamment grave pour que nous ouvrions, à notre tour, nos colonnes à cette tribune unique en son genre dans le secteur associatif. Il ne s'agit plus de dire, l'heure est grave, car l'heure EST grave.

Voici la totalité de la tribune publiée dans le Journal Du Dimanche du 22 avril 2023.

Le 5 avril dernier, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, interpellé lors d'une audition sénatoriale, sur les critiques formulées par la Ligue des Droits de l'Homme quant à l'action des forces de l'ordre à Sainte Soline, a indiqué que, dans ce contexte, les subventions accordées par l'Etat à la LDH devraient en effet être examinées, avant d'enjoindre les collectivités territoriales à faire de même. Loin de remettre en cause ces propos, la Première Ministre a renchéri en questionnant certaines prises de position de cette même association.

Ces déclarations ont, à juste titre, suscité de vives réactions. Parce que l'expression du ministre de l'Intérieur ressemble à l'expression d'un fait du prince usant de son pouvoir pour réduire les oppositions, et parce qu'elle porte sur une association dont l'histoire est faite, depuis 125 ans, de combats pour protéger les droits et libertés de tous et toutes et faire vivre les valeurs de la République, y compris parfois face aux autorités elles-mêmes.

Il est évidemment normal qu'un financeur s'assure de la bonne utilisation des fonds par les associations qu'il subventionne ; mais cela sur la base des missions qui sont celles de l'association, et pour lesquelles elle est soutenue ; et non pas conformément à ce que souhaiteraient entendre celles ou ceux qui pour un temps ont la responsabilité de la gestion de l'Etat.

Ainsi que le rappelle à juste titre la circulaire relative aux relations entre pouvoirs publics et associations du 29 septembre 2015, "l'octroi de subventions doit favoriser un partenariat équilibré entre pouvoirs publics et associations." La grandeur d'une démocratie est justement de savoir soutenir la diversité des approches et des points de vue qui permettent le débat et qui sont aussi des contre-pouvoirs nécessaires.

Subventionner une association ne veut pas dire la contraindre au silence.

Il est donc extrêmement grave qu'un ministre de la République puisse ouvertement mettre en question les financements accordés à une association parce que cette dernière, dans le respect de la loi, a une parole critique sur l'action de l'Etat. Mais si le ministre de l'Intérieur se permet cette mise en cause et en question si directe, c'est parce que le climat aujourd'hui l'y autorise. En effet aussi choquantes soient ces déclarations, nous ne pouvons malheureusement pas en être complètement surpris.

Elles interviennent dans un contexte où de nombreux signaux, bien que moins visibles, traduisent cette volonté de remettre en cause les libertés et l'indépendance des associations et de renforcer le contrôle sur les organisations de la société civile. La loi confortant le respect des principes de la République et ses dispositions relatives au Contrat d'engagement républicain, à l'élargissement des motifs de dissolution d'associations, au renforcement des mesures de contrôle des financements sont une traduction très concrète de ce tournant dans les rapports entre administrations et associations.

Le contrat d'engagement républicain, notamment utilisé pour remettre en cause la subvention versée à l'association Alternatiba Poitiers, dénature la relation de confiance qui doit prévaloir entre pouvoirs publics et associations, mettant en place une forme de brevet préalable de "conformité républicaine" contraire à l'esprit de la loi 1901. Et quand les dispositions de ce Contrat ne sont pas directement activées, il constitue de plus en plus souvent une épée de Damoclès, voire une menace non déguisée pour des associations dont les activités militantes ne répondent pas aux positions de leurs interlocuteurs politiques.

Cette boite de Pandore qui a été ouverte conduit aujourd'hui des élus territoriaux à vouloir imposer aux associations dans leurs actions les exigences de neutralité qui n'ont à s'appliquer qu'aux services publics ; conduit des parlementaires à vouloir pénaliser des associations pour les actions individuelles de leurs membres, en dehors de toute intervention de justice ; conduit certaines administrations à exiger d'associations, au prétexte qu'elles reçoivent des fonds publics, qu'elles se censurent dans leurs pratiques.

Qu'il s'agisse de nouvelles contraintes administratives, de nouveaux textes législatifs ou de déclarations publiques, certaines associations se retrouvent de plus en plus souvent contraintes dans leur capacité d'actions, voire attaquées dans leur capacité à interpeller les pouvoirs publics. Cette fragilisation est dangereuse. Elle a des impacts. Des impacts sur celles et ceux qui sont engagées pour l'action, qui s'investissent pour le collectif et pour l'intérêt général et auxquels on renvoie soit de la défiance soit de la contrainte.

Des impacts sur la capacité à prendre en compte les voies de transformation qui sont bien souvent portées par les associations, parfois à la limite de ce que sont les règles admises, souvent en tout cas ailleurs que dans ce que proposent les politiques publiques. Des impacts enfin et surtout, pour notre vitalité démocratique et pour sa sérénité. Nous avons plus que jamais besoin de ces espaces de construction de la parole et de l'action collectives que sont les associations et de la contribution qu'elles peuvent apporter, sous de multiples formes au débat public.

Limiter et contraindre ces expressions ne peut que contribuer à exacerber des tensions déjà vives dans notre société.

Les alertes sont aujourd'hui trop nombreuses et récurrentes pour qu'elles ne soient pas prises au sérieux. La Défenseure des droits, dans un communiqué du 14 avril, constate "une intensification des risques d'atteintes à la liberté d'association » et souligne qu' « une telle évolution est hautement problématique dans un État démocratique". Plus que jamais, il est essentiel de réaffirmer collectivement notre attachement aux libertés associatives, de rendre publiques toutes les atteintes qui y seront portées et nous mobiliser contre ces attaques.

Il est de la responsabilité du Gouvernement aujourd'hui, de cesser les amalgames et d'affirmer haut et fort, en mots et en actes, que les libertés associatives sont au coeur de notre pacte démocratique.

Nous appelons également tous ceux et toutes celles qui en savent toute l'importance, et notamment les élus territoriaux qui construisent au quotidien avec les associations, à se mobiliser pour elles. Un an après des élections où le Président de la République lui-même expliquait que le vote "l'obligeait", n'ayons pas peur de la démocratie. Ayons la sagesse de ne pas considérer toute opposition comme un "nouveau séparatisme". Ayons l'intelligence de débattre sans nous invectiver.

Ayons le courage de réinstaurer un dialogue de confiance entre les pouvoirs publics et les associations. Il en est encore temps !

En savoir plus
La liste complète des signataires de cette tribune

Le formulaire pour signer cette tribune

Sa publication dans le JDD

L'ancienne déléguée générale de "Maman travaille", le réseau fondé par Marlène Schiappa et amie intime de cette dernière, Anaïs Lunet, a récemment été nommée Secrétaire générale du Haut Conseil à la vie associative (HCVA).
Arrêté du 24 janvier 2023 portant nomination de la secrétaire générale du Haut Conseil à la vie associative

Voici le tag Internet à sélectionner, à copier et à coller sans transformation dans la page du site où vous allez utiliser cet article. D'avance merci.

Sélection du texte ci-dessous
Les libertés associatives sont en danger 
Après la Défenseure des droits, c'est au tour du Mouvement Associatif de lancer l'alerte. 129 acteurs de la société civile dont la Ligue des droits de l'Homme, Laurent Berger de la CFDT, le Secours Catholique, Animafac, ...  <a href="https://www.loi1901.com/intranet/a_news/index_news.php?Id=2720" target="_blank">Lire la suite sur Loi1901.com</a>

Découvrir 10 autres articles



Depuis 1999 au service des associations
Jurisprudence, décrets, lois, etc.

Le caractère lucratif ou non-lucratif d'une association : mise à jour

23-04-2024

Le Conseil d'Etat avait, par plusieurs décisions, précisé que c'était le critère du public auquel s'adressait l'association qui impliquait le caractère lucratif ou non-lucratif

Surveillance des informations sur internet : nouvelle jurisprudence

23-04-2024

Pour lutter contre "la haine en ligne", les "complotistes", les "fakes news" et autres outrages au président, les lois se multiplient dans notre démocratie qui se durcit. Et les

Panorama associatif numéro 99 : fin avril 2024

23-04-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

Obligation de reclassement dans les associations

16-04-2024

Embauche et rédaction du contrat, durée du travail et contrôle du temps de travail, et, bien évidemment rupture du contrat de travail sont soumis à la législation du travail,

Panorama associatif numéro 98 : avril 2024

16-04-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

Educateurs sportifs : soyez honorables

16-04-2024

Afin de mieux protéger les enfants des violences sexuelles dans le sport, la loi du 8 mars 2024 renforce le dispositif de contrôle de l'honorabilité des éducateurs sportifs. Elle

L'intérêt public local d'une association pour obtenir une subvention

09-04-2024

L'intérêt public local fonde la compétence des collectivités territoriales pour disposer d'une habilitation générale à prendre en charge les intérêts de leur population (clause

Panorama associatif numéro 97 : avril 2024

09-04-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

Management nocif au sein d'une association

09-04-2024

Beaucoup de salariés pensent qu'au sein d'une association, le management est plus respectueux des subordonnés. Il y a peut-être moins de pression, encore que cela doit être

Déséquilibre budgétaire d'une association et sa demande de subvention

02-04-2024

Est-il possible de présenter un dossier de demande de subvention alors que les comptes présentés sont excédentaires ? Oui, une association recevant une subvention peut dégager un

Découvrir 10 autres articles
La société dans tous ses états

La Défenseure des droits est inquiète de l'état de notre démocratie

23-04-2024

Dans son rapport annuel (1) d'activité 2023, la Défenseure des droits se montre très inquiète de la banalisation des atteintes aux droits et libertés. Elle constate une hausse

Pour faire des économies, allez au bistrot

16-04-2024

Faire des économies en allant au comptoir de votre bistrot préféré ? C'est possible grâce au concept du club-épargne en Moselle. Le club d'épargne est une association régie par

Pour le Sénat, la loi séparatisme doit encore prouver son utilité

09-04-2024

Cette loi est connue sous plusieurs noms. Pour le grand public et les associations, c'est la loi "séparatisme". Dans les administrations, on trouve de plus en plus souvent

La vie associative face à une action publique atone

02-04-2024

Depuis les années 1980, et plus encore à partir de la moitié des années 1990, le soutien à la vie associative est devenu un enjeu central pour l'État et pour les collectivités

Se payer sur la bête

26-03-2024

L'expression "Se payer sur la bête" veut dire, selon le Larousse : "en parlant d'un créancier, se faire payer en prenant directement sur le salaire, les revenus de son débiteur."

Comment se constituer partie civile quand on est une association ?

19-03-2024

Se constituer partie civile quand on est une association, n'est pas aussi difficile qu'il n'y parait à priori. Tout d'abord, il faut savoir qu'il n'y a que quelques cas pour

La réserve civique : le rapport du HCVA

12-03-2024

Créée en 2017 par la loi "Egalité et Citoyenneté" (1), la Réserve Civique visait à encourager l'engagement citoyen pour contribuer à développer la fraternité, la cohésion sociale

Observatoire de la confiance dans les associations

05-03-2024

Le Don en Confiance est un organisme à but non lucratif ouvert à toutes les causes d'intérêt général. Il a été créé en 1989 par de grandes associations et fondations sociales et

ASSociations et TERritoires : le projet ASSTER

27-02-2024

L'Institut français du Monde associatif est né à Lyon en janvier 2019 avec pour ambition première de faire reconnaître le plus largement possible la contribution des associations

Après l'insuccès du SNU, le refus de l'uniforme ?

20-02-2024

Décidément, les mesures gadgets des gouvernements successifs depuis 2017 se heurtent au réalisme de la jeunesse, des parents et du monde enseignant. Le Service national universel

Découvrir 10 autres articles
Un peu d'ESS dans nos associations

Une nouvelle loi sur la vie associative en toute discrétion

23-04-2024

Au mois de décembre 2022 avait été mise en ligne une plateforme chargée de recueillir les doléances des responsables associatifs dans le cadre d'une "Grande consultation

Panorama de l'accès à l'emploi en France

16-04-2024

Selon l'INSEE, les personnes en emploi au sens du Bureau international du travail (BIT) (actifs occupés) sont celles âgées de 15 ans ou plus ayant travaillé (ne serait‑ce

Service civique et chômage des jeunes : des variations entre départements

09-04-2024

Le service civique joue un rôle important dans le dispositif de l'insertion professionnelle. Qui l'eût cru ? Une nouvelle étude de l'Institut national de la jeunesse et de

Économie sociale et solidaire : et si l'avenir était européen ?

02-04-2024

"L'Economie Sociale au coeur des transitions" est une rencontre initiée par les trois régions belges, Wallonie, Flandre et Bruxelles les 12 et 13 février 2024 à Liège sous la

Le Conseil d'État précise l'intérêt à agir des associations

26-03-2024

En matière administrative, les différents recours juridictionnels ne sont recevables que si ceux qui les exercent ont intérêt à contester l'acte attaqué. C'est une définition qui

Fiscalité : quel est le statut des dons des cagnottes en ligne

19-03-2024

Depuis quelques années, les plateformes offrant des services de diffusion de cagnottes en ligne fleurissent comme les pâquerettes au printemps. Nous sommes tous invités, à

Contrat d'Engagement Républicain : la culpabilité en avant toute

12-03-2024

Le secrétariat général du comité de prévention de la délinquance et de la radicalisation, à l'origine du scandale du fonds Marianne, vient d'être sévèrement épinglé (1) par la

Obtenir l'agrément d'entreprise solidaire à utilité sociale

05-03-2024

Les "entreprises" de l'économie sociale et solidaire (ESS) peuvent bénéficier d'aides et de financements spécifiques grâce à l'agrément "Entreprise solidaire d'utilité sociale"

La PPL visant à simplifier la vie associative est adoptée par les députés

27-02-2024

Déposée le 20 juillet 2023, la proposition de loi visant à soutenir l'engagement bénévole et à simplifier la vie associative a été définitivement adoptée à l'unanimité par les

Note de conjoncture de l'ESS à la fin du premier semestre 2023

20-02-2024

Créée en 2014, la Chambre française de l'Economie Sociale et Solidaire, dénommée ESS France, assure, au plan national, la représentation et la promotion de l'économie sociale et

Découvrir 10 autres articles
Abonnez-vous à Lettrasso+