Le droit de manifester est-il toujours garanti en France ?

21-01-2020 SOCIETE LIBRE
Des journaux comme Le Monde ou encore Libération, Le Parisien, etc. commencent à s'interroger : "Le droit de manifester est-il toujours garanti en France ?" Et cette question devient, après l'avalanche de vidéos montrant des violences policières inqualifiables, parfaitement légitime. Pour avoir un âge avancé et beaucoup de manifestations au compteur, je ne peux que me poser la même question car je n'avais jamais vécu cela auparavant.

La France doit-elle se remettre en question quant à la façon dont elle gère, depuis un an, le maintien de l'ordre ? De très nombreuses personnalités politiques, syndicales, associatives et médiatiques le souhaitent.

Le code pénal par ses articles 431-3, 431-4, 431-5, 431-6, 431-7 et 431-8 conditionne systématiquement le recours à la force aux principes d'absolue nécessité, de proportionnalité et de réversibilité. De son côté, le code de la sécurité intérieure, par ses articles L. 211-9, D. 211-10 et suivants "demande à ce que le recours à la force soit stoppé dès lors que les conditions qui l'ont justifié ne sont plus réunies."

Bien sûr, il ne s'agit pas de remettre en cause la légitimité d'un usage proportionné et nécessaire de la force. Mais, il devient urgent de dénoncer des dérives récurrentes et impunies. Dans son rapport d'activités de mars 2019, le Défenseur des droits dénonçait déjà la restriction de la liberté de manifester et demandait l'interdiction des lanceurs de balles de défense (LBD) lors de l'encadrement de manifestations. Le même Défenseur des droits qui rappelle, dans une décision du 10 décembre 2019 n° 2019-299, à tous les fonctionnaires de police intervenant lors d'opérations de maintien de l'ordre, l'interdiction d'avoir le visage dissimulé, notamment par une cagoule.

Toujours en 2019, la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe demandait à l'Etat français de "ne pas apporter de restrictions excessives à la liberté de réunion pacifique" et à "suspendre l'usage du lanceur de balle de défense". Deux mois plus tard, c'était au tour de la Haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU qui exigeait de la France "une enquête approfondie sur tous les cas d'usage excessif de la force survenus pendant les manifestations des Gilets jaunes." Des préconisations restées lettre morte à ce jour.

Enfin, au mois de mai 2019, Amnesty International demandait également l'interdiction du LBD et des grenades de désencerclement pendant le déroulement des manifestations. Il faut dire que la France est le seul pays d'Europe à utiliser ce type d'armes. Et visiblement, dans les autres pays, le désordre ne semble pas déborder le maintien de l'ordre. Enfin, une PQR (question prioritaire de constitutionnalité) était déposée afin de faire interdire l'usage du LBD au titre de l'atteinte aux principes constitutionnels. Mais le Conseil d'État a refusé de saisir le juge constitutionnel.

Dans un article du mois d'août 2019, le Canard Enchaîné évoquait la lettre ouverte qu'un groupe d'ophtalmologues avait adressée au président de la République. Ceux-ci affirmaient n'avoir jamais vu "une telle épidémie de blessures oculaires, les mêmes blessures que l'on retrouve chez les individus qui se font frapper à coups de batte de base-ball." Toujours au mois d'août, la revue scientifique "The Lancet" qui fait autorité en matière de santé alertait sur "la gravité des blessures que peuvent provoquer ces armes [Les LBD]."

Le 8 décembre 2018, une semaine après le "saccage" de l'Arc de triomphe (1), le préfet de Paris, Michel Delpuech, hurlait cette phrase dans la salle de commandement de la Préfecture de police à l'attention de ses hommes : "Allez-y franchement, n'hésitez pas à percuter. Ça fera réfléchir les suivants." Ce jour là, selon Le Monde, 126 personnes sont blessées à Paris, dont douze à la tête par un tir de LBD et quatre éborgnées. Il y a eu également 1700 arrestations avec placement en garde à vue, dont 800 avant même que la manifestation ne démarre.

Le fait que depuis un an, les manifestations soient systématiquement réprimées de façon brutale et violente par les forces de l'ordre pose question. Sommes nous en présence d'une menace réelle pour l'ordre public avec des manifestants ultra-violents ou bien faisons-nous face à une entrave disproportionnée à la liberté de manifester ? Dans son article 431-1, le Code pénal punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende "le fait d'entraver d'une manière concertée et à l'aide de menaces, l'exercice de la liberté d'expression, du travail, d'association, de réunion ou de manifestation."

Le déni du président de la République et de son gouvernement devant l'ampleur des violences policières laisse pour le moins dubitatif. "Ne parlez pas de répression ou de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit" a dit M. Macron le 8 mars 2019. "Pour moi les violences policières caractérisent une volonté de l'Etat sciemment pensée. nous ne sommes pas dans ce cadre là, il y a des faits individuels qui doivent être évidemment sanctionnés" répond Nicole Belloubet, ministre de la justice, le 20 janvier 2020 dans le 7/9 de France inter.

Quant au ministre de l'intérieur, il justifie les violences policières (mais sans les nommer ainsi) par l'extrême violence des manifestants dont il n'apporte jamais la moindre preuve. La liste des policiers blessés est par exemple inaccessible. On doit donc se contenter des dires du ministre. Le journaliste David Dufresne a, sur son compte Twitter (Allo @Place_Beauvau - c'est pour un signalement), recensé toutes les violences policières consultables sur ce listing. Pourquoi le ministère de l'intérieur n'en fait-il pas autant, sans naturellement donner les noms des agents blessés.

Bien sûr, il est impossible de dire que le droit de manifester a disparu en France. Mais tous ces éléments contribuent largement à dissuader les citoyens de l'exercer. Une stratégie de la confrontation qui vise à délégitimer les manifestations, à les décrédibiliser et à pousser le contestataire au renoncement. Pour Machiavel, "Un État fort sait qu'il survivra à la contestation. En ayant besoin de démontrer sa force, il fait preuve de sa faiblesse. C'est qu'il n'est pas serein quant à la contestation de sa politique." (Le Prince - traité politique écrit au début du XVIème siècle).





En savoir plus
(1) Il a été prouvé depuis que les deux principaux coupables n'étaient pas gilets jaunes. De plus, plusieurs vidéos montrent de nombreux gilets jaunes tenter de protéger la flamme du soldat inconnu de tentatives de dégradations de la part de casseurs dont l'enquête déterminera qu'ils étaient membres de l'ultra droite, sans aucun lien avec le mouvement des gilets jaunes.

Lettre du Préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, envoyée le 29 mai 1968 à ses policiers. Je m'adresse aujourd'hui à toute la Maison : aux gardiens comme aux gradés, aux officiers comme aux patrons, et je veux leur parler d'un sujet que nous n'avons pas le droit de passer sous silence : c'est celui des excès dans l'emploi de la force. lire la suite de l'article





Depuis 1999 au service des associations
Jurisprudence, décrets, lois, etc.

La comptabilité analytique est-elle utile aux associations ?

05-11-2024

La comptabilité analytique est utile, voire même indispensable, pour les associations dont le budget annuel dépasse les 80 000 euros. La "compta ana" est un mode de traitement des

Le bénévolat occasionnel : une source de problèmes ?

05-11-2024

Derrière ce titre volontairement provocateur se cache une réalité qui commence à poser de sérieux problèmes au sein des structures associatives. Certes, selon une étude de

Le tribunal des activités économiques concerne aussi les associations

05-11-2024

Les tribunaux des activités économiques a vu le jour par la loi 2023-1059 du 20 novembre 2023 (1). Ce texte a lancé, à titre expérimental, et pendant 4 ans, de la transformation

Gare au contrôle fiscal quand votre activité associative se rapproche trop de l'entreprise

29-10-2024

La lutte contre la fraude fiscale est un enjeu majeur pour le redressement des comptes publics. Une association peut, en vue de favoriser les échanges et les rencontres avec

Panorama associatif numéro 112 : fin du mois d'octobre 2024

29-10-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

Les nouveaux droits des associations organisatrices de loteries et lotos

29-10-2024

Les associations, qui sont personnes morales, mais qui ne sont pas opératrices de jeux, peuvent désormais organiser des jeux d'argent et de hasard type loteries, tombolas, lotos

Savoir combiner l'utilité sociale, l'intérêt général et l'utilité publique

22-10-2024

L'utilité sociale, l'intérêt général et l'utilité publique ne sont pas des concepts creux d'après banquets. Comment parvenir à différencier l'intervention économique de votre

Précisions importantes pour la rupture conventionnelle individuelle

22-10-2024

Une rupture conventionnelle individuelle (RCI) repose sur une volonté commune du salarié et de l'employeur de mettre fin au contrat. Elle nécessite bien évidemment le consentement

Panorama associatif numéro 111 : octobre 2024

22-10-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

Panorama associatif numéro 110 : octobre 2024

15-10-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

Découvrir 10 autres articles
La société dans tous ses états

Contre la pauvreté, agir coûte moins cher que de ne rien faire

05-11-2024

La pauvreté coûte un "pognon de dingue" disait le 12 juin 2018, le président Macron à ses conseillers et rapidement "fuité" sur @X, histoire de faire le buzz et de préparer les

De la subvention à la commande publique : fragiles associations

29-10-2024

Les modèles socio-économiques des associations ont fait, par le passé, l'objet de débats importants. Mais aujourd'hui, elles semblent n'avoir que peu de place dans la Startup

Les faibles inégalités salariales au sein du secteur associatif

22-10-2024

Selon le baromètre des salaires de l'ESS, dans son édition 2024, le secteur associatif est marqué par de faibles inégalités salariales. Ce qui est plutôt remarquable. En revanche,

Le Service national universel ciblé par la Cour des comptes

15-10-2024

Le SNU, qui émarge au budget "jeunesse et vie associative", est expérimenté depuis 2019 pour une généralisation à tous les jeunes de 15 à 17 ans d'ici 2026. Mais la Cour des

Les dérives sectaires ne se reposent jamais

08-10-2024

Il n'y a pas de définition légale de la dérive sectaire. Mais la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a élaboré une

L'association Anticor retrouve enfin son agrément

01-10-2024

Après plus d'un an de lutte devant la justice, Anticor a enfin retrouvé son agrément anticorruption. C'est par un simple arrêté que le 5 septembre 2024, Gabriel Attal a renouvelé

Inaction climatique : quand l'insuffisance entraîne la condamnation

24-09-2024

Nous assistons à la montée des eaux, à la fonte des glaces, à la multiplication des évènements météorologiques extrêmes, tandis que les espèces animales et végétales disparaissent

Relations avec l'administration : de nouvelles simplifications pour les OSBL

17-09-2024

Un OSBL est un Organisme Sans But Lucratif, connu également sous le sigle OBNL pour Organisme à But Non Lucratif. Il existe de nombreuses formes d'organisations à but non

Les nouvelles priorités pour la jeunesse : diplôme, émancipation, engagement, sport

10-09-2024

Malgré un gouvernement démissionnaire, les administrations ont continué à faire oeuvre commune. Etrange situation dans laquelle, l'absence de ministres décisionnaires n'empêche

Santé et environnement : un important appel à projets

03-09-2024

Le Haut Conseil à la vie associative (HCVA) a produit et adopté le 30 septembre 2021 un rapport intitulé "Pour un engagement associatif renforcé au service de la transition

Découvrir 10 autres articles
Un peu d'ESS dans nos associations

Le succès du service civique

05-11-2024

Alors que le SNU (Service National Universel) semble, à juste titre, vivre ses derniers jours, le Service Civique ne s'est jamais aussi bien porté. Créé par la loi du 10 mars

Quand un accord collectif est remis en cause

29-10-2024

La nullité des conventions et accords collectifs de travail reste un contentieux rare et assez récent, ce qui s'explique, en partie, par l'objet traditionnel de ces actes qui est

Fonds de dotation : les temps changent

22-10-2024

Le fonds de dotation est un organisme dit de "mécénat". Il est destiné à collecter des dons pour aider une structure à but non lucratif à réaliser une oeuvre ou une mission

Programmation 2021-2027 des fonds européens : place de l'ESS

15-10-2024

Tous les sept ans, l'UE révise la stratégie d'attribution des fonds européens pour répondre aux nouveaux défis de l'Union européenne ainsi qu'aux enjeux des territoires et des

Loi ESS : une décennie de transformations pour un anniversaire en demi-teinte

08-10-2024

2014 - 2024, la loi du 31 juillet 2014 relative à l'Économie Sociale et Solidaire, dite Loi ESS, fête ses 10 ans. Portée par Benoît Hamon, alors ministre délégué chargé de

L'économie sociale et solidaire dispose de son ministère

01-10-2024

On ne connaît pas exactement la durée de vie du gouvernement Barnier. En revanche, nous pouvons saluer le fait que l'économie sociale et solidaire (ESS) retrouve un portefeuille

La franchise sociale ou l'art de cultiver l'intérêt général

24-09-2024

La maîtrise de concepts comme l'utilité sociale, l'intérêt général ou encore l'utilité publique est absolument fondamentale pour le secteur associatif. Il est, à ce titre,

Financement d'une association : il faut utiliser les bons outils

17-09-2024

Les créateurs d'une association pensent souvent qu'il suffit de demander des subventions pour démarrer. Sans un premier bilan de ses actions à présenter, une association n'aura

Prolongation de l'avantage fiscal pour l'investissement dans les ESUS

10-09-2024

La loi sur l'Economie Sociale et Solidaire, dite "loi Hamon" du 31 juillet 2014 a transformé l'agrément "entreprise solidaire" en un agrément plus large "entreprise solidaire

Le droit d'accès à des documents administratifs pour une association

03-09-2024

Selon le code des relations entre le public et l'administration (1), le droit d'accès aux documents administratifs permet à toute personne (physique ou morale) d'obtenir

Découvrir 10 autres articles
Abonnez-vous à Lettrasso+