Le journaliste américain, qui écrit en France sous le pseudo de "Mon Oncle d'Amérique" (1) nous a envoyé un article sur le rôle indispensable des "Street Medic" (2) dans les cortèges des manifestations des "Gilets Jaunes". Son témoignage est poignant. Lui, qui vient d'un pays où la violence est quotidienne, est effaré par la méthode de maintien de l'ordre utilisée dans le nôtre. Il a suivi un groupe de "Street Medic" lors d'une partie de la journée de manifestation du samedi 9 février. Au téléphone, le chef de groupe des "medics" que je vais accompagner sur cette manifestation avait la voix franche et assurée. Au premier contact visuel aussi. Physique sportif, il me sourit et me tend une blouse blanche, un casque, des lunettes de protection et un masque à gaz. Ils sont cinq. Deux étudiants en médecine, un aide-soignant en poste et deux étudiants aux beaux-arts. Je ne donnerai aucun prénom ici. "Question de sécurité" m'annonce le chef que j'appellerai Rémy. La petite troupe se met rapidement en route. Les manifestants commencent à arriver en force autour de l'Arc de triomphe. Il s'agit, m'explique Rémy, de rapidement repérer les manifestants fragiles (avec cannes de marche, béquilles, etc.). Les "medics" s'approchent de chacun d'eux et leur recommandent d'éviter de rester au centre du cortège. La manifestation se met en route. Il y a des CRS partout. "Ce ne sont pas eux qu'il faut craindre" m'explique Rémy, "Ils font leur boulot et peu font du zèle". Il me montre des policiers en civil qui étrangement ne portent même pas de brassards Police. "Ceux-là viennent en découdre avec plaisir, ils tirent parce qu'ils aiment ça" me glisse-t-il à l'oreille tout en leur adressant un signe de la main. "Il est important de se faire repérer par eux" rajoute-t-il dans un sourire. Il y a énormément de monde. On sent le souffle de la bête protéiforme et joyeuse. Tout se passe bien jusqu'au Ministère des Affaires étrangères où quelques coups de matraques accueillent un petit groupe de Gilets Jaunes qui souhaitent passer derrière une rangée de CRS. Première intervention, Rémy me demande de protéger le blessé pendant que, le geste sûr, il déballe son matériel et commence les soins. Je jette un coup d'oeil sur la plaie ouverte sur le crâne du blessé. Pas joli, je préfère tourner la tête pour éviter de tourner de l'oeil. Un manifestant vient chercher de l'aide, il boite et dit avoir reçu un coup de bouclier d'un CRS. Sa chaussure droite est effectivement explosée et on peut apercevoir du sang qui suinte de la chaussette. Les autres "medics" du groupe qui avaient disparu, appelés ailleurs par autant de voix hurlantes de douleur ou de surprise, reviennent pour prendre en charge le pied du blessé. Il faut à chaque fois protéger les soignants, aussi bien des bousculades de la foule qui veut voir ou qui a peur, que des CRS qui ne font pas toujours dans le détail. La nature m'a doté d'une bonne corpulence, cela m'aide. La violence se calme. On peut repartir. La foule est de plus en plus dense. L'Assemblée Nationale nous offre ses colonnes. Curieusement, l'accès à la grille n'est pas protégé par des CRS. On voit de loin, un groupe avec ou sans gilet jaune qui commence à s'attaquer à une palissade en bois peint qui ceinture les marches. Rémy m'attrape par le bras et m'entraîne à sa suite pour calmer les manifestants "casseurs". Sa taille, sa prestance et l'aura que les "Street Medic" ont acquise depuis des semaines ramènent le calme. "Il faudrait presser le pas des manifestants, je le sens pas ce coin" hurle Rémy à ses collègues. Trop tard, les lacrymos explosent autour de nous. Les CRS arrivent en petit nombre pour protéger la palissade. Ils se frayent un chemin dans la foule à grands coups de matraques. Lorsqu'ils arrivent à hauteur des marches de l'Assemblée Nationale, on entend les détonations sourdes des premières grenades de désencerclement. Je suis happé par le recul soudain des manifestants qui fuient le gaz pleureur. J'ai perdu mon groupe de "medics". Je les cherche en vain dans un brouillard épais. Autour de moi, ce ne sont que larmes, crachats, toux épaisses en réaction à l'irritation insupportable du gaz. Je dépasse rapidement l'Assemblée Nationale espérant retrouver Rémy et son groupe. Au passage, je récupère un vieil homme qui saigne abondamment du nez. "J'ai pris un coup de coude d'un CRS" parvient-il à me hurler d'une voix nasillarde. Je le dépose auprès d'un autre groupe de "medics". Le chef me hurle : "On peut pas le prendre, on en a trop, fais le toi". Je lui demande au moins du coton. Il me lance un sachet et j'applique la ouate sur le nez qui saigne abondamment. Je parviens à asseoir mon blessé contre un mur. A côté de lui, ils sont au moins dix cabossés en sang, les yeux hagards et plein de larmes. Je n'en reviens pas. Tout ça en moins de 5 minutes. Visiblement les tirs ont cessé. Mais le brouillard est plus épais que la nuit. Je laisse mon blessé à un autre "medic" et je cherche Remy. Impossible de le retrouver. Je prends le Boulevard Saint-Germain. La manifestation s'est reformée. Les slogans reprennent comme s'il ne s'était rien passé. On sent chez ces "Gilets Jaunes" une détermination qui force l'admiration et le respect. Ils sont là et n'en repartiront pas. Le gain de cette nouvelle visibilité leur a coûté bien trop cher pour espérer un quelconque renoncement. Soudain on me tire par la manche, un gilet jaune me hurle qu'un mec a eu la main arrachée. Il m'entraîne avec lui, je me retrouve devant une meute de manifestants en larmes. Je me fraye un passage. Soudain, je croise Rémy et son groupe. Je lui parle de la main arrachée. "Laisse tomber, viens avec nous, le gars est en charge." Et nous voici à fendre la foule pour avancer au plus vite vers la rue de Rennes où on nous annonce des altercations. Devant nous, les gens s'écartent comme le font les automobilistes à l'arrivée d'une ambulance. Et chacun de nous encourager d'une tape, d'un sourire, d'un remerciement. "Il y a des blessés par là ?" demande Rémy à un brave pépère en jaune qui secoue la tête en souriant. On arrive vers la Tour Montparnasse. On grimpe sur l'abri bus sous le panneau publicitaire pour tenter de voir le plus loin possible. La foule est considérable. Toute la rue de Rennes est pleine de jaune. Rémy regarde ma blouse blanche tachée de sang : "Tu as soigné quelqu'un ?". Je lui explique. "C'est ton baptême aujourd'hui" me lance-t-il en souriant. Il regarde sa montre. "Maintenant, tu dois partir. C'est la fin de la manif qui est le moment le plus tendu. Trop dangereux. Tu comprends ?" J'acquiesce. Je reconnais que cette course incessante m'a épuisé physiquement et surtout nerveusement. Je lui rend mes "accessoires" Street Medic. Il me tend la main. Je la serre. Le regard droit et ferme de ce mec me fait du bien. Je prend congé des autres membres du groupe. Je regarde encore une fois l'immense serpent jaune qui remonte la rue de Rennes. Une voix dans le foule hurle : "Medic, medic, medic". Rémy et ses hommes remettent casques et masques à gaz, referment les sacs à dos et disparaissent dans la foule. Et moi, tout seul dans cet immense bouleversement, je pleure les larmes d'une humanité retrouvée. Je souhaite à tous ceux qui ne comprennent pas pourquoi ce mouvement dure depuis aussi longtemps, de venir un samedi, passer un moment à marcher aux côtés de ces "invisibles" en jaune. Je marche donc je suis. Traduit de l'américain par Lettrasso En savoir plus (1) Voici les différents articles que "Mon Oncle d'Amérique" nous a déjà confiés : Que votre aveuglement produit leur cécité et Voyage d'un américain en France et Un amerloque se disloque (2) Le Facebook de Street Medic Paris et un excellent article sur France culture "Street medics" : les Black Panthers derrière le sérum physiologique aux "gilets jaunes"
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