Associations culturelles ou cultuelles pour contourner la loi de 1905 ?

25-09-2012 ACTUASSO LIBRE
Oui, je sais la période est un peu agitée sur ce terrain là... Mais ce qui semblait n'être qu'une petite entorse à la loi de 1905 est en train de devenir une bombe à retardement... Les faits sont simples. Entre 2007 et 2008, le Conseil d'État a rendu 5 arrêts sur des pourvois enregistrés en contentieux qui interprètent la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'État.

En premier lieu, le Conseil d'État permet le contournement des interdits de la loi de 1905 sur le financement des cultes sur fonds public en acceptant la confusion entre usage cultuel et usage culturel des lieux de culte. Ainsi une collectivité territoriale peut-elle acquérir un bien "mixte", "utilisé dans le cadre de sa politique culturelle et éducative" (affaire de l'orgue de la commune de Trélazé) (1).

Les associations cultuelles ont dorénavant la possibilité de se doter de l'excroissance d'une association culturelle pour obtenir des financements publics. De même, un tel financement peut être affecté à un lieu de culte "pour [...] le développement touristique et économique de son territoire" (affaire de la construction d'un ascenseur d'accès à la nef et à la crypte de la basilique de Fourvière, à Lyon) (2).

Le deuxième contournement est celui des intérêts publics locaux.
Les collectivités territoriales pourront prendre des décisions ou financer des projets portant sur des édifices ou des pratiques cultuelles, en déclarant simplement qu'il y va de "l'intérêt public local" :
- comme pour l'organisation de cours ou de concerts de musique dans un lieu de culte (affaire Trélazé) ;
- pour le rayonnement culturel de la basilique de Fourvière.

Il suffirait alors à n'importe quel lieu de culte d'être ouvert quelques heures à des visites touristiques pour bénéficier de financements publics.

Le troisième contournement est celui de la légitimation officielle des dérogations apportant des tempéraments à la loi de 1905. Il en est ainsi du bail de longue durée pour une somme symbolique (emphytéotique administratif) fréquemment conclu jusque-là dans l'illégalité par une collectivité territoriale en vue de la construction d'un édifice destiné à un culte qui est définitivement permis.

Cette formule ne pourra plus, à l'avenir, faire l'objet de contestation, en l'absence de changement de la loi.

Autre "dérogation", celle de l'aménagement sur fonds public d'un abattoir rituel (affaire du Mans) (3). Plutôt que d'exiger des entrepreneurs privés, par ailleurs rétribués par une taxe religieuse à l'abattage à la charge des consommateurs, qu'ils se conforment "aux impératifs de l'ordre public, en particulier de la salubrité et de la santé publiques", le Conseil d'État inverse la responsabilité en acceptant que la collectivité finance un abattage rituel.

Enfin, le Conseil d'État reconnaît et accepte la pratique de la mise à disposition d'un local communal pour l'exercice d'un culte (affaire de Montpellier) (4).

Toute municipalité pourrait donc créer et mettre à disposition d'un culte une "salle polyvalente à caractère associatif", euphémisme pour offrir un lieu de culte.

Cette nouvelle jurisprudence pose problème car elle ouvre des brèches dans la laïcité, en autorisant les collectivités territoriales à financer les cultes.

Il devient donc urgent de mettre un terme à ces dérives pour refuser toute entorse à la loi du 9 décembre 1905 ou tout accommodement avec son esprit.

Réponse du ministère publiée au JO le 28/08/2012 (5)
Par ses cinq décisions du 19 juillet 2011, le Conseil d'État a apporté d'importantes précisions sur la façon dont il convient d'interpréter la loi du 9 décembre 1905 lorsque des collectivités territoriales souhaitent apporter leurs aides à des opérations d'intérêt public local liée à unculte.

Le Conseil d'État a rappelé qu'en vertu des dispositions de la loi du 9 décembre 1905, les collectivités publiques peuvent financer les dépenses d'entretien et de conservation des édifices du culte dont elles sont propriétaires (article 13 de la loi) ou accorder leurs concoursaux associations cultuelles pour des travaux de réparation d'édifices cultuels (article 19 de la loi).

En revanche, il leur est interdit d'apporter une aide à une association cultuelle régie par le titre IV de la loi du 9 décembre 1905 compte tenu de son objet exclusivement cultuel ou envue d'une opération qui participe directement à l'exercice d'un culte.

A. Dans l'affaire de l'orgue de la commune de Trélazé, le Conseil d'État a considéré que la loi du 9 décembre 1905 ne fait pas obstacle à ce qu'une collectivité territoriale participe au financement d'un bien destiné à un lieu de culte (par exemple, un orgue dans une église) dès lors qu'existe un intérêt public local (organisation de cours ou de concerts de musique) et qu'un accord, qui peut prendre la forme d'une convention, encadre l'opération et garantisse une utilisation de l'orgue par la commune conforme à ses besoins et une participation financière du desservant proportionnelle à l'utilisation qu'il fera de l'orgue afin d'exclure toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.

B. Le Conseil d'Etat a également jugé que l'aide apportée par la ville de Lyon pour la mise en place d'un ascenseur facilitant l'accès des personnes à mobilité réduite à la basilique de Fourvière n'est pas contraire au principe d'interdiction d'aide à un culte posée par la loi de1905, même si cet équipement bénéficie également aux pratiquants du culte en cause. Toutefois, le Conseil d'Etat n'a admis une telle possibilité de financement qu'en raison de l'intérêt public local du projet lié à l'importance de l'édifice pour le rayonnement culturel et le développement touristique et économique de la ville et qu'à condition qu'il soit garanti, par exemple par voie contractuelle, que cette participation n'est pas versée à une association cultuelle et qu'elle est exclusivement affectée au financement du projet.

C. S'agissant de l'affaire "Commune de Montpellier", le Conseil d'État a rappelé que les dispositions législatives applicables (art. L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales) permettent à une commune d'autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, l'utilisation d'un local qui lui appartient pour l'exercice d'un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.

Il a également rappelé qu'une commune ne peut rejeter une demande d'utilisation d'un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d'exercer un culte mais la commune ne peut laisser ce local de façon exclusive et pérenne à la disposition d'une association pour l'exercice d'un culte.

D. En ce qui concerne la conclusion d'un bail emphytéotique administratif entre une collectivité territoriale et une association cultuelle en vue de l'édification d'un édifice du culte, le Conseil d'Etat a considéré que le législateur a permis aux collectivités territoriales de conclure un bail emphytéotique administratif en vue de la construction d'un nouvel édifice cultuel (art. L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales), avec pour contrepartie le versement, par l'emphytéote, d'une redevance qui ne dépasse pas en principe un montant modique, eu égard à la nature du contrat, au fait que son titulaire n'exerce aucune activité à but lucratif et à l'incorporation de l'édifice construit, à l'expiration du bail, dans le patrimoine des collectivités.

E. Enfin, s'agissant de l'affaire relative à l'aménagement temporaire d'un local permettant l'exercice de l'abattage rituel, le Conseil d'État a jugé que la loi du 9 décembre 1905 ne fait pas obstacle à ce qu'une collectivité territoriale participe à l'aménagement d'un tel local, afin de permettre l'exercice de pratiques à caractère rituel relevant du libre exercice des cultes, à condition d'une part, qu'il existe un intérêt public local, tenant notamment à la nécessité que les pratiques cultuelles soient exercées dans des conditions conformes aux impératifs de l'ordre public, en particulier de la salubrité et de la santé publiques et d'autre part, que le droit d'utiliser l'équipement soit concédé dans des conditions, notamment tarifaires, qui respectent le principe de neutralité à l'égard des cultes et le principe d'égalité et qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.

Par ces cinq décisions, le Conseil d'Etat a rappelé le principe d'interdiction de subventionner les cultes posé par la loi du 9 décembre 1905 tout en soulignant que cette loi contient elle même des dérogations à ce principe et que d'autres législations y apportent des tempéraments.

Il ressort de ces décisions que si les collectivités territoriales peuvent prendre des décisions ou financer des projets en rapport avec des édifices ou des pratiques cultuels, elles ne peuvent le faire qu'à la condition que ces décisions répondent à un intérêt public local, qu'elles respectent le principe de neutralité à l'égard des cultes et le principe d'égalité et qu'elles excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte.

L'état du droit, comme le montrent ces décisions du Conseil d'Etat, semble permettre aux collectivités publiques et à leurs administrés de vivre une laïcité apaisée.

En savoir plus
(1) Affaire de l'orgue de la commune de Trélazé - Conseil d'État

(2) Le Conseil d'État précise l'interprétation et les conditions d'application de la Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat

(3) CE, 19 juillet 2011, Communauté urbaine du Mans, Le Mans métropole

(4) CE, 19 juillet 2011, Commune de Montpellier

(5) Question posée par M. Jean-Jacques Candelier (député du Nord) à M. le ministre de l'intérieur



Depuis 1999 au service des associations
Jurisprudence, décrets, lois, etc.

Le caractère lucratif ou non-lucratif d'une association : mise à jour

23-04-2024

Le Conseil d'Etat avait, par plusieurs décisions, précisé que c'était le critère du public auquel s'adressait l'association qui impliquait le caractère lucratif ou non-lucratif

Surveillance des informations sur internet : nouvelle jurisprudence

23-04-2024

Pour lutter contre "la haine en ligne", les "complotistes", les "fakes news" et autres outrages au président, les lois se multiplient dans notre démocratie qui se durcit. Et les

Panorama associatif numéro 99 : fin avril 2024

23-04-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

Obligation de reclassement dans les associations

16-04-2024

Embauche et rédaction du contrat, durée du travail et contrôle du temps de travail, et, bien évidemment rupture du contrat de travail sont soumis à la législation du travail,

Panorama associatif numéro 98 : avril 2024

16-04-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

Educateurs sportifs : soyez honorables

16-04-2024

Afin de mieux protéger les enfants des violences sexuelles dans le sport, la loi du 8 mars 2024 renforce le dispositif de contrôle de l'honorabilité des éducateurs sportifs. Elle

L'intérêt public local d'une association pour obtenir une subvention

09-04-2024

L'intérêt public local fonde la compétence des collectivités territoriales pour disposer d'une habilitation générale à prendre en charge les intérêts de leur population (clause

Panorama associatif numéro 97 : avril 2024

09-04-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

Management nocif au sein d'une association

09-04-2024

Beaucoup de salariés pensent qu'au sein d'une association, le management est plus respectueux des subordonnés. Il y a peut-être moins de pression, encore que cela doit être

Déséquilibre budgétaire d'une association et sa demande de subvention

02-04-2024

Est-il possible de présenter un dossier de demande de subvention alors que les comptes présentés sont excédentaires ? Oui, une association recevant une subvention peut dégager un

Découvrir 10 autres articles
La société dans tous ses états

La Défenseure des droits est inquiète de l'état de notre démocratie

23-04-2024

Dans son rapport annuel (1) d'activité 2023, la Défenseure des droits se montre très inquiète de la banalisation des atteintes aux droits et libertés. Elle constate une hausse

Pour faire des économies, allez au bistrot

16-04-2024

Faire des économies en allant au comptoir de votre bistrot préféré ? C'est possible grâce au concept du club-épargne en Moselle. Le club d'épargne est une association régie par

Pour le Sénat, la loi séparatisme doit encore prouver son utilité

09-04-2024

Cette loi est connue sous plusieurs noms. Pour le grand public et les associations, c'est la loi "séparatisme". Dans les administrations, on trouve de plus en plus souvent

La vie associative face à une action publique atone

02-04-2024

Depuis les années 1980, et plus encore à partir de la moitié des années 1990, le soutien à la vie associative est devenu un enjeu central pour l'État et pour les collectivités

Se payer sur la bête

26-03-2024

L'expression "Se payer sur la bête" veut dire, selon le Larousse : "en parlant d'un créancier, se faire payer en prenant directement sur le salaire, les revenus de son débiteur."

Comment se constituer partie civile quand on est une association ?

19-03-2024

Se constituer partie civile quand on est une association, n'est pas aussi difficile qu'il n'y parait à priori. Tout d'abord, il faut savoir qu'il n'y a que quelques cas pour

La réserve civique : le rapport du HCVA

12-03-2024

Créée en 2017 par la loi "Egalité et Citoyenneté" (1), la Réserve Civique visait à encourager l'engagement citoyen pour contribuer à développer la fraternité, la cohésion sociale

Observatoire de la confiance dans les associations

05-03-2024

Le Don en Confiance est un organisme à but non lucratif ouvert à toutes les causes d'intérêt général. Il a été créé en 1989 par de grandes associations et fondations sociales et

ASSociations et TERritoires : le projet ASSTER

27-02-2024

L'Institut français du Monde associatif est né à Lyon en janvier 2019 avec pour ambition première de faire reconnaître le plus largement possible la contribution des associations

Après l'insuccès du SNU, le refus de l'uniforme ?

20-02-2024

Décidément, les mesures gadgets des gouvernements successifs depuis 2017 se heurtent au réalisme de la jeunesse, des parents et du monde enseignant. Le Service national universel

Découvrir 10 autres articles
Un peu d'ESS dans nos associations

Une nouvelle loi sur la vie associative en toute discrétion

23-04-2024

Au mois de décembre 2022 avait été mise en ligne une plateforme chargée de recueillir les doléances des responsables associatifs dans le cadre d'une "Grande consultation

Panorama de l'accès à l'emploi en France

16-04-2024

Selon l'INSEE, les personnes en emploi au sens du Bureau international du travail (BIT) (actifs occupés) sont celles âgées de 15 ans ou plus ayant travaillé (ne serait‑ce

Service civique et chômage des jeunes : des variations entre départements

09-04-2024

Le service civique joue un rôle important dans le dispositif de l'insertion professionnelle. Qui l'eût cru ? Une nouvelle étude de l'Institut national de la jeunesse et de

Économie sociale et solidaire : et si l'avenir était européen ?

02-04-2024

"L'Economie Sociale au coeur des transitions" est une rencontre initiée par les trois régions belges, Wallonie, Flandre et Bruxelles les 12 et 13 février 2024 à Liège sous la

Le Conseil d'État précise l'intérêt à agir des associations

26-03-2024

En matière administrative, les différents recours juridictionnels ne sont recevables que si ceux qui les exercent ont intérêt à contester l'acte attaqué. C'est une définition qui

Fiscalité : quel est le statut des dons des cagnottes en ligne

19-03-2024

Depuis quelques années, les plateformes offrant des services de diffusion de cagnottes en ligne fleurissent comme les pâquerettes au printemps. Nous sommes tous invités, à

Contrat d'Engagement Républicain : la culpabilité en avant toute

12-03-2024

Le secrétariat général du comité de prévention de la délinquance et de la radicalisation, à l'origine du scandale du fonds Marianne, vient d'être sévèrement épinglé (1) par la

Obtenir l'agrément d'entreprise solidaire à utilité sociale

05-03-2024

Les "entreprises" de l'économie sociale et solidaire (ESS) peuvent bénéficier d'aides et de financements spécifiques grâce à l'agrément "Entreprise solidaire d'utilité sociale"

La PPL visant à simplifier la vie associative est adoptée par les députés

27-02-2024

Déposée le 20 juillet 2023, la proposition de loi visant à soutenir l'engagement bénévole et à simplifier la vie associative a été définitivement adoptée à l'unanimité par les

Note de conjoncture de l'ESS à la fin du premier semestre 2023

20-02-2024

Créée en 2014, la Chambre française de l'Economie Sociale et Solidaire, dénommée ESS France, assure, au plan national, la représentation et la promotion de l'économie sociale et

Découvrir 10 autres articles
Abonnez-vous à Lettrasso+