04-04-2023  ESS LIBRE

Quand l'ESS fait la Une de Playboy

Marlène Schiappa est secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale et solidaire. Poste qu'elle occupe de façon assez discrète pour ne pas dire plus (1). On sent bien que les associations ne sont pas sa tasse de thé. Sauf peut-être pour avantager certains de ses amis avec une distribution de subventions qui pose aujourd'hui problème. Mme Schiappa ne sert aucune cause sinon la sienne. On imagine donc que sa présence dans le Playboy du 8 avril prochain ne la desservira pas.

Mais pourquoi se gênerait-elle puisque le chef de l'Etat, lui-même, a jugé utile de donner une interview au journal Pif Gadget, plus connu pour ses pois sauteurs que pour la politique de sa ligne éditoriale.

Un mélange des genres qui n'a visiblement qu'un seul objectif : saturé l'espace médiatique pour faire oublier que la France est aujourd'hui en proie à l'une des plus graves crises sociale et démocratique de ces 50 dernières années. Etrange façon de gouverner. L'art de salir la fonction et "en même temps" d'exiger des grévistes un total respect des institutions qui ont été tellement piétinées qu'un 49.3 n'y retrouverait pas ses petits.

Le magazine PlayBoy nous apprend que la secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale et solidaire a répondu, en 12 pages, à une interview portant essentiellement sur la liberté des femmes mais aussi le féminisme, la politique et la littérature. Les associations attendront. Il est vrai qu'il n'y a aucune urgence, aucune bronca, rien qui ne justifie que notre secrétaire d'État daigne, même semblant, s'occuper de son ministère.

Avant nous avions Marianne comme symbole de la République. Aujourd'hui nous avons le Fonds Marianne qui est en train de devenir l'un des symboles (il y en a beaucoup d'autres) d'une corruption qui tend à se généraliser. Ce fonds a été créé en réaction à l'assassinat de Samuel Paty. Marlène Schiappa, alors ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, annonçait fièrement la mise à disposition de deux millions d'euros pour promouvoir les valeurs républicaines.

Comment ces fonds ont-ils été utilisés ? Et comment ont-ils été contrôlés ? (2) Malgré l'obstruction du préfet Christian Gravel, en charge du dossier auprès du Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CIPDR), qui refusait de communiquer la liste des lauréats, leur nom, ainsi que la ventilation des subventions accordées, des journalistes ont fini par se procurer cette liste. Ainsi, 17 dossiers ont été retenus pour un montant global de 2 017 600 euros.

Si certaines structures n'obtiennent que quelques milliers d'euros, d'autres se voient attribuer plusieurs centaines de milliers d'euros. Enfin, 4 associations se partagent près d'1,3 million d'euros, soit près de la moitié du fonds Marianne. L'une d'entre elles a attiré l'attention des journalistes : l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation au service militaire (USEPPM) nichée en plein coeur du Ier arrondissement de Paris.

C'est une très vieille association créée à la fin du XIXe siècle mais dont l'objet social semble très éloigné de l'appel d'offres. C'est pourtant elle qui décroche le pompon avec 355 000 euros de subvention. L'association s'engage, selon la convention de mise à disposition, "à déployer un contenu multimédia, un message positif de réenchantement des valeurs de la république et un autre en déconstruction des attaques violentes subies par la République".

Pour remplir son cahier des charges, l'association s'appuie sur Mohamed Sifaoui, administrateur de l'association et expert reconnu des questions de radicalisation. La mission a duré, en tout et pour tout, 6 mois avec un bien maigre bilan : un compte Youtube avec 13 vidéos dont la majorité ne dépasse pas les 50 vues, et un compte Instagram avec seulement 138 abonnés. Pas de quoi faire trembler Daech.

L'administrateur explique l'utilisation des fonds par la rémunération d'une dizaine de collaborateurs en CDD et en piges. Mais les journalistes, décidément vraiment trop fouineurs, découvrent que ce ne sont pas dix salariés qui ont été recrutés et rémunérés, mais seulement deux. En revanche, l'association a versé aux 2 administrateurs (Cyril Karunagaran et Mohamed Sifaoui) la coquette somme de 120 000 euros sous la forme de salaires.

Rétributions pourtant contraires aux statuts de l'association, qui précisent que "les membres de l'Union ne peuvent recevoir aucune rétribution à raison des fonctions qui leur sont confiées". Cerise sur le gâteau, les autres membres du bureau ignoraient que de l'argent public avait été attribué ni rien de ses modalités d'utilisation. Un avocat a été saisi afin d'initier une procédure judiciaire à l'encontre des 2 administrateurs qui renâclent, on se demande bien pourquoi, à restituer les archives administratives, comptables, fiscales, de l'association.

La mission de l'USEPPM s'est achevée le 28 février 2022. Les vérifications n'ont débuté qu'après la parution des premiers articles de presse, c'est à dire, il y a moins de deux mois. Les associations subventionnées apprécieront, à sa juste valeur, la mansuétude dont a fait preuve le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CIPDR) à l'égard de l'USEPPM. J'imagine que cela n'a rien à voir avec le fait que le préfet Christian Gravel soit un intime de Mohamed Sifaoui.

Le 29 mars 2023, le secrétariat d'Etat chargé de la Citoyenneté informait la presse, avoir saisi l'inspection générale de l'administration et le ministère de l'intérieur annonçait un signalement au Procureur, au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Tout ça alors que le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CIPDR) vient à peine de commencer ses contrôles par manque des pièces comptables de l'USEPPM. Une accélération qui laisse songeur.

L'anguille serait-elle trop grosse ou la roche trop petite ? Que l'on se rassure, aucune question sur l'utilisation des subventions attribuées par le Fonds Marianne, ne sera posée à Marlène Schiappa dans son interview à Play Boy. Elle n'est là que pour parler de féminisme, dont elle s'est arrogée l'étendard, au grand dam des associations qui font un véritable travail de terrain, loin, très loin des salmigondis d'une bien étrange Secrétaire d'Etat...

En savoir plus
(1) La nomination de Mme Schiappa est une provocation de plus et la confirmation que les associations (outils démocratiques par définition) dérangent ce gouvernement. Pourquoi ? Marlène Schiappa est nommée secrétaire d'Etat chargée de l'ESS et vie associative

(2) Le 29 novembre 2022, une députée interrogeait le ministre de l'intérieur et des outre-mer sur l'attribution des financements du fonds Marianne. Aucune réponse n'a été apportée à ce jour par un ministère qui a tout de même lancé un signalement au Procureur au titre de l'article 40 du code de procédure pénale contre l'USEPPM.
Question écrite publiée au JO le 29/11/2022 au ministre de l'intérieur et des outre-mer

Prévention de la radicalisation : où est l'argent du fonds Marianne ? France2


Brève en copie partielle autorisée
Voici le tag Internet à sélectionner, à copier et à coller dans la page du site où vous allez utiliser cet article. D'avance merci.

Sélection du texte ci-dessous
Quand l'ESS fait la Une de Playboy 
Marlène Schiappa est secrétaire d'État chargée de l'Économie sociale et solidaire. Poste qu'elle occupe de façon assez discrète pour ne pas dire plus (1). On sent bien que les associations ne sont pas sa tasse de thé. <a href="https://www.loi1901.com/breves_associatives.php?moteur1=2203" target="_blank">Lire la suite sur Loi1901.com</a>

Découvrir 10 autres articles



Depuis 1999 au service des associations
Jurisprudence, décrets, lois, etc.

Savoir combiner l'utilité sociale, l'intérêt général et l'utilité publique

22-10-2024

L'utilité sociale, l'intérêt général et l'utilité publique ne sont pas des concepts creux d'après banquets. Comment parvenir à différencier l'intervention économique de votre

Précisions importantes pour la rupture conventionnelle individuelle

22-10-2024

Une rupture conventionnelle individuelle (RCI) repose sur une volonté commune du salarié et de l'employeur de mettre fin au contrat. Elle nécessite bien évidemment le consentement

Panorama associatif numéro 111 : octobre 2024

22-10-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

Panorama associatif numéro 110 : octobre 2024

15-10-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

L'art et la manière de bien rédiger un dossier de demande de subvention

15-10-2024

Pour une structure associative, obtenir une subvention est un enjeu majeur. Surtout en période de budgets contraints. La rédaction de votre dossier de demande d'aide est

Transfert d'activité entre deux associations

15-10-2024

Le transfert d'activité entre deux associations est presque toujours source de conflit. Et pourtant, l'article L. 1224-1 du code du travail est on ne peut plus clair sur le sujet

Déclaration des bénéficiaires effectifs au sein des associations

08-10-2024

Tous les organismes sans but lucratif doivent désormais déclarer leurs "bénéficiaires effectifs". Cette obligation, jusqu'alors réservée aux structures à but lucratif, concerne la

Diversification préférable des ressources pour les associations de création artistique

08-10-2024

Bonne fille, l'administration fiscale précise les conditions dans lesquelles les associations de création artistique peuvent échapper aux impôts commerciaux. Malgré cette

Panorama associatif numéro 109 : octobre 2024

08-10-2024

Le Panorama associatif de Loi1901 a pour objectif de vous détailler plusieurs mesures qui ne peuvent pas faire l'objet d'un article complet, à l'unité, car trop courtes. Au

Nouvelles dispositions d'inspection et de contrôle des ACM

01-10-2024

La protection des mineurs accueillis collectivement dans les "Accueils Collectifs de Mineurs" (ACM) pendant les vacances et leurs temps de loisirs, de même que la protection des

Découvrir 10 autres articles
La société dans tous ses états

Les faibles inégalités salariales au sein du secteur associatif

22-10-2024

Selon le baromètre des salaires de l'ESS, dans son édition 2024, le secteur associatif est marqué par de faibles inégalités salariales. Ce qui est plutôt remarquable. En revanche,

Le Service national universel ciblé par la Cour des comptes

15-10-2024

Le SNU, qui émarge au budget "jeunesse et vie associative", est expérimenté depuis 2019 pour une généralisation à tous les jeunes de 15 à 17 ans d'ici 2026. Mais la Cour des

Les dérives sectaires ne se reposent jamais

08-10-2024

Il n'y a pas de définition légale de la dérive sectaire. Mais la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a élaboré une

L'association Anticor retrouve enfin son agrément

01-10-2024

Après plus d'un an de lutte devant la justice, Anticor a enfin retrouvé son agrément anticorruption. C'est par un simple arrêté que le 5 septembre 2024, Gabriel Attal a renouvelé

Inaction climatique : quand l'insuffisance entraîne la condamnation

24-09-2024

Nous assistons à la montée des eaux, à la fonte des glaces, à la multiplication des évènements météorologiques extrêmes, tandis que les espèces animales et végétales disparaissent

Relations avec l'administration : de nouvelles simplifications pour les OSBL

17-09-2024

Un OSBL est un Organisme Sans But Lucratif, connu également sous le sigle OBNL pour Organisme à But Non Lucratif. Il existe de nombreuses formes d'organisations à but non

Les nouvelles priorités pour la jeunesse : diplôme, émancipation, engagement, sport

10-09-2024

Malgré un gouvernement démissionnaire, les administrations ont continué à faire oeuvre commune. Etrange situation dans laquelle, l'absence de ministres décisionnaires n'empêche

Santé et environnement : un important appel à projets

03-09-2024

Le Haut Conseil à la vie associative (HCVA) a produit et adopté le 30 septembre 2021 un rapport intitulé "Pour un engagement associatif renforcé au service de la transition

Quand le Conseil d'État nous raconte l'année 2023

30-07-2024

De la pollution de l'air à la liberté d'association, des atteintes au droit jusqu'aux problématiques de logement, des nombreuses politiques de l'emploi à l'accès à l'éducation

Pour m'endormir, je compte les abonnés

23-07-2024

Oui, après 22 années d'existence, notre lettre d'information associative Lettrasso atteindra bientôt les 133 000 abonnés gratuits. Il n'en manque que cinq. Quand 132 995 personnes

Découvrir 10 autres articles
Un peu d'ESS dans nos associations

Fonds de dotation : les temps changent

22-10-2024

Le fonds de dotation est un organisme dit de "mécénat". Il est destiné à collecter des dons pour aider une structure à but non lucratif à réaliser une oeuvre ou une mission

Programmation 2021-2027 des fonds européens : place de l'ESS

15-10-2024

Tous les sept ans, l'UE révise la stratégie d'attribution des fonds européens pour répondre aux nouveaux défis de l'Union européenne ainsi qu'aux enjeux des territoires et des

Loi ESS : une décennie de transformations pour un anniversaire en demi-teinte

08-10-2024

2014 - 2024, la loi du 31 juillet 2014 relative à l'Économie Sociale et Solidaire, dite Loi ESS, fête ses 10 ans. Portée par Benoît Hamon, alors ministre délégué chargé de

L'économie sociale et solidaire dispose de son ministère

01-10-2024

On ne connaît pas exactement la durée de vie du gouvernement Barnier. En revanche, nous pouvons saluer le fait que l'économie sociale et solidaire (ESS) retrouve un portefeuille

La franchise sociale ou l'art de cultiver l'intérêt général

24-09-2024

La maîtrise de concepts comme l'utilité sociale, l'intérêt général ou encore l'utilité publique est absolument fondamentale pour le secteur associatif. Il est, à ce titre,

Financement d'une association : il faut utiliser les bons outils

17-09-2024

Les créateurs d'une association pensent souvent qu'il suffit de demander des subventions pour démarrer. Sans un premier bilan de ses actions à présenter, une association n'aura

Prolongation de l'avantage fiscal pour l'investissement dans les ESUS

10-09-2024

La loi sur l'Economie Sociale et Solidaire, dite "loi Hamon" du 31 juillet 2014 a transformé l'agrément "entreprise solidaire" en un agrément plus large "entreprise solidaire

Le droit d'accès à des documents administratifs pour une association

03-09-2024

Selon le code des relations entre le public et l'administration (1), le droit d'accès aux documents administratifs permet à toute personne (physique ou morale) d'obtenir

Les dynamiques de la philanthropie en France

30-07-2024

La philanthropie a une responsabilité de plus en plus grande à agir efficacement et durablement au service de l'intérêt général. Certes, mais il y a une bonne raison à cela : la

L'obligation de non concurrence du dirigeant

23-07-2024

Personne clef de la structure qu'il dirige et organise, le dirigeant se doit d'agir dans l'intérêt de l'association dont il préside les destinées. Une obligation légale de loyauté

Découvrir 10 autres articles
Abonnez-vous à Lettrasso+